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C’est une fois encore le bouche-à-oreille qui nous avait conduit jusqu’à l’atelier d’orfèvrerie de Roland à Macau, dans la région des plus grands crus du bordelais. Mais ce n’est pas tant le vin dégusté à la table des Daraspe qui nous a étourdi lors du reportage que ce nous avons découvert une fois l’âme de l’atelier sortie de sa torpeur. 
Nous nous attendions bien sur à rencontrer un artisan exceptionnel (Entreprise du Patrimoine Vivant, Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main...), il nous a gâté. Roland est de ces personnes qui habitent un espace dans le sens le plus imagé et le font vibrer. Initialement formé à la chaudronnerie, c’est une expérience en verrerie auprès d’un artiste qui l’amène à modifier son échelle de création. Passé par le bijou durant un temps, c’est en mettant au point des petites boîtes qu’il acquiert en autodidacte le goût de la finesse, de l’élégance des finitions, de la perfection appliqué à l’argent, et développe sa patte. Aujourd’hui reconnaissables entre mille, les créations de Roland Daraspe se démarquent par leurs aspects de textures innovants dont l’orfèvre à le secret. Confidences. 

La désignation "orfèvre" offre quels genres de privilèges ?


Le droit de travailler les métaux précieux comme l'or ou l'argent, qui est un matériau fabuleux. 

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Quel statut cela te donne-t-il officiellement ?


L'orfèvrerie c'est toujours la création d'une pièce utilitaire. Je suis artisan, inscrit à la chambre des métiers, et non artiste parce que seuls les orfèvres en art statuaire sont reconnus comme artistes. Vu que je suis Maître d'Art je pourrais m'amuser à changer de statut… Mais à 64 ans je m'en fiche un peu.

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Comment abordes-tu la matière ?


Déjà il faut savoir que je crée à partir de plaques d'argent d'1mm d'épaisseur. Plaques que je travaille au marteau, à froid. 
C'est très différent de la fonte qui est, elle, coulée. Leurs souplesses sont très différentes également, du fait de structures moléculaires à l'opposé. La fonte pourrait être considérée comme un amas de petites agglomérations de billes, soit un matériau assez cassant qui demande beaucoup de préparation. En martelant la fonte en somme tu vas former des fibres et donc davantage de résistance, mais aussi de souplesse. Alors que dans le cas d'une feuille d'argent toutes les fibres sont dans le même sens. 
Quand je pars sur une pièce en argent, je prends une feuille d'argent que je vais venir marteler pour faire remonter la matière. Je creuse le métal à l'aide d'un marteau à boule, puis j'effectue la rétreinte sur la bigorne pour ramasser la matière.

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Pour commencer une coupe ou un vase par exemple… je tape au marteau au centre pour donner une première forme, puis je chauffe la pièce à 800-950°C parce qu'au bout d'un moment le métal travaillé devient trop dur. Je peux alors entamer la rétreinte. Ce sont des petits coups de marteau qui rétrécissent le métal, le referme. C'est pourquoi je dois régulièrement réchauffer ma pièce. Rien que ces étapes de boulot sur une coupe prennent facilement une journée.

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Quand je choisis de rétreindre avec un marteau qui marque beaucoup parce qu'il va me permettre d'aller assez vite, je dois ensuite dans un second temps enlever les surfaces accidentées. Un sculpteur pourrait attaquer, travailler dans la masse et user de la matière, mais moi je n'ai qu'1mm donc il faut que je sois extrêmement précis ! Le plus important pour faire une pièce c'est d'ailleurs vraiment de savoir comment on va s'y prendre, pour s'enquiquiner le moins possible. On est des fainéants, mais surtout on vend notre temps. De fait il faut conditionner ses étapes de travail pour arriver à la perfection en un minimum de temps. On maîtrise la pièce, mais si on peut passer 150 heures au lieu de 200 heures c'est toujours ça de gagné. Et c'est évidemment plus facile de concevoir une pièce dans une matière déterminée quand tu connais les contraintes techniques. Mes modèles de pièces étant toujours différents, je dois sans cesse me renouveler, c'est assez obsédant. Ca m'arrive souvent de continuer à ruminer le soir !

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Tu as développé des stratagèmes ?


Le système D ! En fait je crée un outillage au fur et à mesure de mes besoins. Il existe des résines suffisamment dures pour donner la forme, par contre ça se passe sous presse, je ne peux pas marteler. Poinçon, matrice… puis je place sous ma presse de plusieurs tonnes pour avoir la forme exacte avant de continuer à refermer la pièce.

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Chaque objet est orné d'une texture singulière, pourquoi cet attachement à éviter le lisse ?


Je n’évite par à proprement parler l’aspect lisse, certaines pièces ne vont avoir qu’un détail texturé par exemple. Simplement, pour moi, l’argent mérite un traitement particulier. Pouvoir utiliser ce précieux métal dans mes créations est une chance, et puisque sa matérialité le permet, j’estime qu’un aspect uniformément lisse ne lui ferait pas honneur, en lui donnant l’apparence de l’inox.
Cette question des aspects de surface est importante. Si j'ai une idée de série derrière la tête, je peux accorder 25 heures à la mise au point d'un aspect sur une première pièce et si je me débrouille bien, ça se limite ensuite à 1 heure ou 2 maximum. L'aspect de surface se donne avant le passage sous presse, ce qui ne pose pas de problème puisque la résine ne raye pas du tout la matière.

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Es-tu complètement tributaire de l'épaisseur de la feuille d'argent de départ ou certains projets induisent-ils malgré tout des interventions différentes ?


Dans une majorité de cas et d'étapes, mon travail dépend réellement de la contrainte due au simple millimètre de matière. Mais si vous prenez cette coupe, j'ai ajouté de la matière sur le bord pour arriver à 2mm et ainsi avoir plus de présence esthétique, un col moins chétif, puis la brillance et davantage de reflets. 
Pour certains effets de surface, comme les arrêtes, une fois la rétreinte et les dessins faits, je remplis ma pièce de cire. Avec des ciselets je viens taper délicatement pour créer des lignes de fragilité, puis au marteau. Si par je tape trop fort par contre, il faudra que je fasse ressortir la matière, mais la pièce étant pleine de cire, ça ne sera possible qu'en retendant la matière tout autour.

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Combien de temps passes-tu en moyenne sur une pièce ?


Ma pièce la plus simple, un petit vase en argent non poli, me demande environ 5 heures de travail.

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Pourrait-on imaginer acheter l'une de tes pièces ?


Les prix varient entre 150 euros et 50 000 euros, donc tout est  imaginable !

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Quel a été ton parcours de vie jusqu'à l'orfèvrerie, et à aujourd'hui ?


J'ai fait une formation en chaudronnerie, avant de devenir mécanicien. Vers 22 ans j'ai même été représentant pour un éditeur de livres parce que l'idée d'être indépendant me plaisait, en revanche ça c'était pas du tout mon truc ! Puis je me suis retrouvé à faire du vitrail avec un copain de l'armée avec qui j'avais renoué. Je m'occupais de tous les sertissages en plomb, ce travail de précision m'intéressait. En revanche je n'ai pas supporté longtemps le gars, il ne connaissait rien au vitrail, n'avait aucun respect des savoir-faire ancestraux et du travail bien fait. Il entourloupait ses clients en leur vendant des assemblages avec des joints au plâtre voués à s'abîmer très rapidement.
Je m'en suis donc éloigné, et c'est là que j'ai rencontré une fille qui travaillait le bijou. A 24 ans, j'ai fièrement fabriqué mes premiers bijoux avec des clous de chevaux et c'est comme ça que je me suis aperçu que je pouvais créer. On part pour faire un seul métier toute sa vie, autant faire un métier qui nous plait !
Quand j'ai commencé le travail du métal, j'avais bien entendu très peu d'outillage. Et c'est bien différent d'un apprentissage en céramique par exemple, en ce sens que la céramique ne requiert que peu de matériel pour se lancer. Je me suis adapté… Il faut faire ce qu'on peut avec ce qu'on a ! Ensuite j'en suis venu à travailler aussi l'aspect de surface de mes pièces, pour leur donner de la profondeur. Tout cela à la main. A mon sens, l'argent doit être travaillé à la main, aucun intérêt à le tendre industriellement.

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Tu t'es donc formé à l'orfèvrerie en autodidacte, c'est incroyable ! Y a-t-il un élément déclencheur particulier dans ta réalisation professionnelle ?


Oh oui, c'est ma femme ! Sans sa confiance et ses encouragements, je n'en serais certainement pas là où j'en suis aujourd'hui. Quand nous nous sommes rencontrés, elle était professeur à Sainte Marie de Neuilly. Quand on a déménagé en région bordelaise, elle a obtenu un poste, mais pour moi c'était une autre histoire. Elle m'a alors conseillé de m'installer un atelier dans le garage de notre maison et de me lancer pour de bon ! J'ai fabriqué une première série de petites boîtes en maillechort et laiton et me suis présenté aux Ateliers d'Art et à deux autres salons pour tester… ça a fonctionné, mes boîtes plaisaient. Du coup pendant 15 ans je n'ai fait que des petites boîtes de tous types (galets, étuis à cigare, à cigarettes, bagues à poison, flasques, poudriers, ou encore, pour Arthus Bertrand, des écrins pour présenter les légions d'honneur) avant de passer à l'argent massif, une fois devenu orfèvre. Mais les objets en argent devenant vite trop chers pour les salons dans lesquels j'avais mes habitudes, j'ai progressivement arrêté de m'y rendre. 

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Qu'as-tu appris en fabriquant tes fameuses petites boîtes ?


Tout. En 15 ans, seul avec les matériaux et les contraintes esthétiques et techniques que je m'imposais, j'ai appris la maîtrise du feu, le jeu des proportions, de la finesse… Par exemple 960°C est le seuil de fonte de l'argent, or il faut monter jusqu'à 850°C pour la brasure d'une charnière qui s'effectue sur la pièce finie… il ne faut donc pas se louper (trop de fois) ! J'ai énormément tiré de mes erreurs, que ce soit pour la technique ou l'humilité… la patience !

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Par quels biais as-tu réellement commencé à vendre tes créations d'orfèvrerie ?


Quelques unes de mes pièces ont été prises par des musées. Et sous Mitterand, ça a été l'envolée, j'ai reçu durant une dizaine d'années des commandes du service du Protocole de l'Elysée. Un certain nombre de pièces sélectionnées m'étaient payées d'avance et je n'avais plus qu'à travailler puis à présenter mes pièces. Et j'ai même fabriqué quelques pièces de moindre taille en série.

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Comment t'inspires-tu ?


Cela représente beaucoup de temps de recherches. Je dessine sur plein de formats différents, c'est un bordel pas possible ! Je ne dessine que des profils sauf quand il faut vraiment que j'indique les perspectives. 

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Je profite aussi du potentiel de la résine de sculpture : deux matières qui se mélangent. La résine est raide mais facile à tailler à la râpe ou à la ponceuse, ça fait juste de la poussière. C'est une matière idéale pour se rendre compte des volumes. Et savoir comment utiliser la matière pour arriver à faire ce que l'on veut, c'est la base. C'est indispensable d'avoir des bases solides. Même pendant un CAP, pourtant en 3 ans à l'époque où je l'ai fait, tu n'apprends pas grand chose. Enfin, tu as encore tout à apprendre, mais c'est aussi ça qui donne envie de créer !
Je vais souvent sur youtube pour regarder des vidéos de forgeage de pièces immenses, de la grosse industrie. Je trouve ça fascinant, tout comme les réacteurs d'avions par exemple ou au contraire l'infiniment petit, les abysses !

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" Les couleurs des poissons parfois c'est du délire ! "

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Et inspires-tu tes possibles acheteurs?


Aujourd'hui je confie des pièces à des gens qui font les salons, quelques créations sont repérées aussi directement à l'atelier… Maintenant que je suis connu dans le milieu de l'art, je suis devenu une référence pour certaines choses, donc c'est plus facile. Par contre ce n'est pas le cas globalement à l'étranger, voilà pourquoi les salons sont une vitrine indispensable.
Toujours dans l'idée de cette fameuse vitrine sur le monde, je fais sans cesse de nouvelles pièces pour mettre au jour mes savoir-faire.  
Quand je travaille avec des artistes ou des designers, les gens viennent me voir pour ma sensibilité, pour mon expertise. Les formes que je crée sont forcément empreintes de ma touche. 

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Le côté créatif n'est pas donné à tout le monde. Quels conseils donnerais-tu à quelqu'un qui souhaiterait devenir orfèvre, artisan, indépendant ?


Avoir fait une école ne veut pas forcément dire grand chose. C'est dur d'accoucher quelque chose pour certains, souvent par peur de se jeter. Avant tout il faut maîtriser la technique pour réaliser une pièce. En fabricant mes petites boîtes, j'ai pris le temps de me perfectionner. Tu apprends en travaillant, il faut travailler en permanence. Chaque matière répond à sa manière, et le métal il faut lui taper dessus, lui rentrer dedans pour l'apprivoiser ! Avant même de ne songer à travailler le côté simple et sensuel.
Il faut être curieux et ne pas avoir peur. Pourtant je reconnais que pour les jeunes artisans qui s'installent maintenant c'est super dur. Aujourd'hui Maison & Objet n'offre que deux allées de mise en avant des créatifs, avant il y en avait 50. Pour moi c'était comme un musée ! 
Et côté entreprise, être salarié c'est tranquille, il y a quelqu'un qui s'occupe de toi. Je suis vachement indépendant. Mais quand t'es libre, il faut bien voir que tu te démerdes tout seul.

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" Dans mon atelier je fais tout, recherches et développement, balayage, dépannage de moteur de perceuse… Il faut tout faire, il faut savoir tout faire. Quand tu es en panne il faut que tu te débrouilles pour réparer, tu peux pas faire autrement. "

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A l'armée, pendant mon service, il y avait un mec qui était responsable du placard à balai et avait refusé de me passer un balai parce qu'on ne s'entendait pas. C'est à ce moment que je me suis juré de ne jamais être sous un petit chef ! 
Par contre, être à son compte c'est un sacré truc. J'ai du me constituer une trésorerie qui me permet de niveler quand j'ai moins de commandes, et j'essaye de profiter de ces moments pour faire des pièces de création. Il faut néanmoins faire très attention aux problèmes d'argent parce que ça perturbe l'esprit et donc la création. A mes débuts, ce qui m'a sauvé c'est que ma femme avait un bon salaire. 
Mais j'ai joué le jeu de l'exception immédiatement, je n'aurais jamais montré un truc merdique, quand tu montres ton travail tu t'engages. Malgré tout, certaines pièces sont forcément, à mes yeux, moins abouties que d'autres.

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" Si tu as fait une belle pièce, tu es très satisfait, t'as pas besoin qu'on te félicite ! "

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Avec un modèle pareil, on se demande bien quelles voies peuvent bien suivre vos enfants...?


L'aîné, Amaury oeuvre dans le domaine du web, le second, Bruno, fait du bijou, il a sa propre entreprise, quant à Jean il est biologiste à l'université de Lausanne, mais nourrit cette même passion des bijoux en passe-temps. C'est un bricoleur très minutieux, il répare les microscopes électroniques de son laboratoire… A force d'avoir été avec moi à l'atelier petit, il a bien compris que pour résoudre une panne, on part des questions les plus simples, on essaye, et on n'envoie en réparation que si vraiment ça nous résiste. Claire travaille dans les assurances et Louis dans le bâtiment "bois".

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La transmission te tient très à coeur, tu as régulièrement pris des élèves sous ton aile. Est-ce le cas en ce moment ?


J'ai accueilli au fil des années des apprentis et des stagiaires à l'atelier sur de plus ou moins longues périodes, presque toujours bénévolement !
J'ai reçu par deux fois une stagiaire adulte à l'atelier quelques semaines. La première enseigne actuellement l'orfèvrerie à l'école Tané et a aussi son propre atelier. La seconde après obtention de son CAP de bijouterie se met à son compte. Comme parrain de la promotion 2014, j'ai reçu toute une journée les élèves de la promo à l'atelier. Moment riche, et ils m'ont offert une création collective accroché ici à l'atelier. 
Dans le cadre du protocole Maître d'art - là, j'ai reçu une indemnité "enseignant" correcte-, j'ai formé durant trois années un élève à l'orfèvrerie, Wilfrid Joly, sachant qu'il avait déjà des diplômes de l'enseignement supérieur en métiers d'art et design. Mais il voulait suivre enfin une formation "concrète". A l'atelier, il l'a eue ! Il vole de ses propres ailes et nous sommes toujours proches.

 

Heureusement, il y a mille et un biais pour le faire. Notamment des collaborations avec de grandes Maisons pour tisser des projets héritiers de ton savoir-faire, et puis des reportages comme celui que nous construisons ensemble ! Quelles sont tes impressions sur tes expériences passées ?


J'ai eu l'occasion de réaliser des pièces pour Daum ou Christofle par exemple, qui ont coutume de produire mécaniquement. Un sacré grand écart. Pour Daum j'avais fait une partie métallique pour une pièce en pâte de verre pré-réalisée. L'ensemble ressemble un peu à un taureau, donc j'aurais adoré que le verre soit rouge, mais apparemment ç'aurait été extrêmement difficile à obtenir pour eux. En vert on dirait du coup des organismes des profondeurs vivant dans les coraux, ça me plaît aussi. 
En règle générale tout se passe bien. Simplement, parfois, l'absence de connaissance du matériau joue des tours aux créateurs qui viennent me voir avec des projets de pièces impossibles...  

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6 Chemin du Tayet, 33460 MACAU

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